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Amateurs et professionnels, comment les distinguer en impro ?

Points de vue

Un débat qui revient souvent en impro, c'est comment distinguer les spectacles et improvisateurs amateurs par rapport aux professionnels. Rien d'étonnant puisque globalement tous les artistes subissent cette question. Qu'on soit danseur, chanteur ou sculpteur, la question de la légitimité de l'artiste à se dire professionnel se pose toujours.

L'absence de critère

Pour la plupart des professions, les critères sont simples : on est professionnel dans un métier quand on l'exerce. On se retrouve avec un statut assez binaire : soit on est professionnel de notre métier, soit chômeur. Pour autant, on peut être chômeur et se déclarer "plombier au chômage" sans que personne ne soit choqué de l'appellation. Or, un artiste au chômage, c'est quoi ? S'il n'est pas intermittent : pas grand chose...

Une question revient souvent quand on dit exercer un métier artistique : "mais tu en vis ?". Comme si le critère financier était le seul à prendre en compte. Comme si le plombier qui travaille en intérim n'était vraiment plombier que s'il parvenait à faire un SMIC mensuel avec son activité.

Pire que ça, le fait de gagner sa vie en tant qu'artiste ne suffit pas. Il faut souvent ne surtout pas exercer une seconde profession à côté de celle-ci. Par exemple, si tu es prof 10h par semaine et que tu fais 4 cachets par mois, tu seras très probablement considéré comme "le prof qui joue l'artiste". Rarement comme "l'artiste qui arrondit ses fins de mois dans un métier alimentaire".

La crédibilité de l'artiste professionnel est donc complexe à obtenir, parce que même les diplômes ne jouent pas. Tu peux sortir du CNSAD, pas sûr qu'on te considère plus comme comédien tant que tu ne fais pas tes 42 cachets annuels.

Parce que pour beaucoup, être professionnel c'est être intermittent. Ou célèbre. Ce qui pose quelques questions : l'artiste qui ne joue jamais et n'a aucune expérience mais qui apparaît dans une pub diffusée 50 fois par jour à la télé est-il plus professionnel que celui qui a répété 6 semaines pendant 2 mois son nouveau spectacle sans rien gagner ? Celui qui fait 60 cachets par an mais qui n'a pas l'intermittence car il effectue aussi des prestations en tant qu'auto-entrepreneur n'est-il pas professionnel car pas réellement intermittent ?

Entre le fait qu'être intermittent ne veuille rien dire en soit et que l'impro n'a même pas de diplôme à fournir, il est quasi-impossible de dire réellement qui est professionnel en impro de qui est amateur. En réalité, dire "je suis professionnel" pourrait très bien suffire à être considéré comme tel.

Les mêmes spectacles

Quand on parle de troupe, il est plus facile à priori de savoir si la troupe est professionnelle ou amateur : si tous les spectacles sont payants et rémunèrent les comédiens, elle l'est. Sinon, elle ne l'est pas. Mais cette règle souffre encore de nombreuses exceptions car beaucoup de comédiens ne se payent pas - ou du moins pas toujours - dans des spectacles pourtant dits professionnels.

Encore plus confusant, c'est que l'offre de spectacles elle-même peut être identique entre troupe amateur et professionnelle. Combien de ligues pros proposent du match d'impro ? Et combien de ligues amateurs ?

C'est donc sur trois critères exclusifs que peuvent se faire la différence :

  1. Le prix
    Plus c'est pro, plus c'est cher.
  2. La qualité
    Plus c'est pro, plus c'est bon.
  3. Les comédien•ne•s
    Les pros ne jouent pas les spectacles amateurs et inversement

Sauf qu'aucune de ces trois règles ne tient réellement à l'usage :

  1. Certains spectacles pros se font au chapeau, certains spectacles amateurs sont assez chers.
  2. Un match d'impro, même quand on est professionnels, peut être malheureusement assez mauvais.
  3. Beaucoup de comédiens professionnels font encore parti de troupes amateurs

Quelles solutions pour professionnaliser l'impro ?

Les solutions semblent simples pour professionnaliser clairement le monde de l'impro : faire des spectacles plus chers et interdire aux comédiens pros de jouer en amateurs.

Mais cela pose deux problèmes majeurs :

  • On ne peut pas forcer un comédien à ne pas offrir de son temps bénévolement. Il reste libre et n'appartient pas à priori à la compagnie. De la même manière qu'on peut être plaquiste et offrir de son temps pour aider les personnes en difficulté à retaper leur maison, on peut être comédien pro et vouloir partager son expérience avec des amateurs de manière bénévole.
  • La qualité doit suivre le coût du spectacle, et toutes les ligues pros n'ont pas la chance d'avoir le vécu, l'expérience et les joueurs permettant de fournir des matchs de haute-voltige en toute circonstance. Quand bien même on y arrive, rien n'empêche une ligue amateur d'avoir des joueurs exceptionnels et hyper-habitués au format du match.

Si l'on considère le match comme un spectacle théâtral, on peut se dire que chaque troupe a la même scénographie, la même mise en scène, la même (absence de) dramaturgie, la même durée... Difficile alors pour le spectateur d'identifier un match comme professionnel ou amateur.

Finalement, la solution la plus simple ne serait-elle pas que les professionnels travaillent sur des spectacles plus complexes, uniques, qu'on ne retrouve nul part ailleurs ? D'oser se mettre en scène, s'appuyer sur leurs capacités (voix, chant, danse...), proposer une alternative unique à un paysage parfois surchargé des mêmes formats ?

Et surtout : cette question sur la légitimité du professionnel a-t-elle vraiment un intérêt ? Pourquoi se sentir en concurrence avec les amateurs de très bons niveaux ? Il est probable que certains pourraient se professionnaliser s'ils le voulaient, et tant mieux pour eux. Cela ne remet pas en question la qualité intrinsèque du comédien professionnel, qui vit de son art et qui - s'il souhaite vraiment se différencier - doit alors faire des propositions artistiques différenciantes.